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Neuf et Six DIDOT interlignés я points
Mais, Chicot, dit Henri III presque timidement, c’est un
messager privé, il n’est pas besoin de tant d’apparat !
Sans doute, continua le fou toujours en s’adressant à Ernau-
ton, vous n’êtes pas un ambassadeur, vous ne voyagez même pas
a titre officiel et vous ne devez pas déployer trop de faste ; mais
encore faut-il que vous puissiez accomplir votre mission avec la
célérité necessaire. Or, vous ne comptez pas aller à pied, je pense V
ni sans être accompagné d’un valet, je suppose? Si votre cheval
crève en route, ne devez-vous pas être en mesure d’en acheter un
autre? et comment voulez-vous pourvoir à l’achat de deux ou
(rois chevaux, à leur entretien, à celui d’un valet et au vôtre à
moins de deux mille livres? Allons, Ilenriquet, pardonne à’ce
jeune fou, l’amour lui fait perdre la tête. Signe-moi un bon de
2,000 livres, je consens à l’aller toucher avec lui !
Le roi, mis ainsi au pied du mur, s’exécuta d’assez bonne
grâce.
Grand merci encore cette fois, monsieur Chicot, fit Ernau-
lon, lorsqu ils furent sortis ensemble, vous êtes vraiment ma Pro¬
vidence !
Si vous croyez m avoir quelque obligation, messire, rendez-
1,101 lln sorvico : quanti vous serez dans votre pays, vous savez, le
pays du bon vin, de la fine eau-de-vie et surtout des truffes, infor¬
mez-vous, je vous prie, de quelque modeste castel que mes
moyens me permettent d’acquérir et où je puisse me retirer un
jour. Je ne quitterai jamais mon pauvre roi, mais il est si faible
que je crains qu’il n’ait pas longtemps à vivre, si toutefois ses
ennemis le laissent mourir de sa belle mort.
Décidément, pensa Ernauton, tout le monde veut se retirer
en Périgord.
Il assura Chicot qu’il ferait de son mieux, et, après avoir touché
les deux mille livres, les deux hommes se séparèrent à la porte de
la reine mère en se donnant une forte accolade.
La reine mère, d’un coup d’œil perçant et rapide, inspecta le jeune homme des
pieds a la tète et parut satisfaite de son examen.
— Le roi vous a chargé d’une lettre pour le duc de Joyeuse, messire, lui dit-
elle, et vous devez ensuite l’accompagner comme écuyer, là où sa mission vous
conduira. C’est un secret, mais je vous le dirai : il est envoyé au roi de Navarre qui
est en ce moment, si nous sommes bien informés, au château de la Force, où il
réunit sans doute une armée contre ceux qui l’ont privé de son héritage. En dehors
de la mission officielle du duc, je vais vous en donner une autre plus modeste, mais
peut-etre plus importante :
Le roi de Navarre est pour moi une énigme bien difficile à déchiffrer : je l’ai
essaye deja mais en vain; peut-être serez-vous plus heureux. Ecoutez, regardez,
observez, informez-vous ; tâchez de savoir si cet homme est un muguet frivole, tout
occupe de ses plaisirs et de ses amours. (Histoire des Rois de France, p. 718).