Vers 1820, la lithographie fit une entrée enforce dans la compétition avec
les fonderies de caractères. Alors que les imprimeurs du livre, avec leurs
blocs de plomb rectangulaires et rigides, étaient limités dans leur possibilités,
les dessinateurs lithographes pouvaient mettre n 'importe quel dessin sur
une pierre, comme ils le faisaient pour les bons et titres, les cartes de visite
calligraphiées, les calendriers et autres travaux d'impression.
1924, Die Hebräische Schrift,
H. Berthold AG, Berlin, Leipzig, Stuttgart,
Vienna, Riga
de savoir si les fonderies allemandes envoyaient leurs représentants directe¬
ment chez les imprimeurs hollandais. Dans quelques cas, un agent est men¬
tionné: Klinkhardt (Van Meurs), Huck (P. van Dijk) etc. Il est également
intéressant de voir mentionner des petites fonderies hollandaises comme
G. W. van der Wiel & Onnes et De Boer 8c Coers. En 1869, les frères Hoitsema
se fournirent chez Reed and Fox, anciennement R. Besley & Co (two-line
English Courthand).
Les spécimens anciens d'imprimeurs sont rares. Je citerai quelques-uns
d'entre eux, dont je possède des exemplaires anciens: Bricx d'Ostende (vers
1787); H. Martin & Comp. (1829), J. Ruys (1908), Pieper & Ipenbuur (1828)
et le Stads en Courant drukkerij (1834) d'Amsterdam; M. Wijt (1828) et
J. W. van Leenhoff (1837) de Rotterdam ; B. Henry (1828) de Valenciennes ;
l'imprimeur de l'Université de Copenhague, Johan Frederik Schultz (1805)
(le second exemplaire conservé à la Bibliothèque Royale de Copenhague
a été égaré il y a des années!); De Bachelier (1842) de Paris; Michael Lin¬
dauer (1825) de Munich; Osvalda Lucchini (1853) de Guastalla; Rand and
Avery (1867) de Boston - à l'époque le deuxième plus important imprimeur
d'Amérique - et John F. Trow (1856) de New York (dont je possède un
exemple de «rainbow printing», un type d'impression irisée).
Une des pièces de choix de ma collection est un spécimen des alentours
de 1847 de la fonderie Van der Veen Oomkens 8c Van Bakkenes, de Gro-
ningue. Au dos, figure, imprimée en couleur, la mention « Plaques pour
impression Congreve». Ce système était conçu pour imprimer des actions
et obligations en plusieurs couleurs, en une seule passe (en typographie).
Cette fonderie, fondée en 1843 par Allen van der Veen Oomskens, fut reprise
par Onnes, De Boer 8c Coers en 1857 et déménagea l'année suivante à Arn-
hem. En 1894, Enschedé récupéra les matrices. J'ai acheté le spécimen d'une
compilation de caractères d'Enschedé de la fin du XIXe siècle, contenant
145 pages magnifiques par ces deux fondeurs de Groningue et d'Arnhem.
Un spécimen spécial, des États-Unis, est le Bruce de 1882. Il est compa¬
rable au Berriey pour son extraordinaire gamme de bordures et lettres
ornées. Il contient aussi un vaste assortiment de jolis ornements produits
par électrotypie, illustrant des métiers, des intérieurs de boutiques, des
articles de commerce, etc. Un assez long texte de De Vinne sur l'invention
de l'imprimerie y est inséré.
Les spécimens de caractères en une seule feuille de grand format sont
particulièrement rares. Les plus anciens spécimens conservés sont en majo¬
rité des feuilles de grand format. Au XXe siècle, Monotype, par exemple,
a produit des pièces de grand format honorables. Les feuilles de Stanley
Morison pour Monotype, Pelican Press et Cloister Press sont parmi les plus
marquantes.
Dans les années 1930, on avait recours à la firme Born lorsque des impri¬
meries étaient vendues aux enchères, en général pour cause de faillite. Je
possède 75 catalogues de ventes annotés par les commissaires-priseurs. Il est
vrai que les caractères mis aux enchères y sont imprimés sur une seule
ligne, et bien sûr sans mention de leur nom, mais ils n'en restent pas moins
des spécimens de caractères.
Demandez à n'importe quel Hollandais de citer le nom du plus ancien
imprimeur de Hollande encore en activité, il y a de fortes chances qu'il
réponde Enschedé. Mais il s'agit en fait de Van Waesberge. On retrouve
l'histoire de cette compagnie dans un spécimen de 1918. Van Waesberge fut
fondée à Rotterdam il y a plus de 400 ans.
Selon un spécimen de 1852, N. Tetterode, devenu plus tard Lettergieterij
Amsterdam, débuta aussi son activité à Rotterdam. Dans la seconde partie
de ce spécimen, datée de 1856, il se présente comme un fondeur d'Amster¬
dam. C'est à cette époque qu'il prit le contrôle de la fonderie De Passe 8c
Menne (je possède leur spécimen Proeve van drukletteren, de 1843) à Bloem-
gracht. Dans le premier supplément, il a collé son nom sur celui de De
Passe & Menne. Dans ses premiers spécimens, il utilisait encore l'exemple
classique de texte qu'on trouve également dans les spécimens du XVIIIe
siècle de Caslon, Fry, Wilson et Bodoni : «Quousque tandem abutere, Catilina,
palientia nostra?»
Les fabricants de matériel de composition produisaient souvent des spé¬
cimens très épais: Linotype, Intertype, Monotype et Ludlow.Je possède éga¬
lement un charmant petit spécimen de chez Typograph. Ceux-ci utilisaient
généralement des caractères de fonderie, achetés sous licence.
Une coïncidence. Je ne possédais que trois minces spécimens de la fon¬
derie Heinrich Hoffmeister, créée à Leipzig en 1898, quand un spécimen
de format livre fut mis aux enchères à Berlin. Je fis donc une offre et put
l'acquérir. Le jour suivant sa réception par la poste, j'allais à la foire aux
antiquités de Haarlem. Et qu'est-ce que j'y ai trouvé? Deux spécimens
d'Hoffmeister reliés, l'un plus ancien (leur premier, ne contenant que des
vignettes) et un autre plus récent.
Il y a quelques années, je prêtais des pièces au musée Gutenberg de
Mayence pour une exposition sur les spécimens de caractères. À cette occa¬
sion, je fus autorisé à flâner dans la bibliothèque et, à mon grand étonne-
76
Jan Tholenaar
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ment, j'y découvris un certain nombre de spécimens insolites, anciens et
même des raretés, dont même l'équipe du musée semblait à peine
consciente. Il y avait aussi des pièces insolites de fonderies hollandaises du
XIXe siècle, dont des spécimens de Hendrik Bruyn & Comp., Broese &
Сотр., Elix &c Co., et J. de Groot (1781). De cet ensemble, je ne possède,
hélas, que le de Groot. Je précise que toutes les autres pièces mentionnées
ici sont dans ma bibliothèque.
Je voudrais mentionner un dernier spécimen: celui du fondeur lyonnais
Louis Vernange, daté de 1770 et qui s'étend sur 64 pages. Les trois autres
exemplaires connus sont tous légèrement plus petits. Le marchand qui me
l'a vendu m'a dit que c'était la première fois qu'il en croisait un, en 35 ans
de carrière.
Voilà pour ces quelques exemples de ma collection personnelle. Mes
exemplaires reliés, qui prennent de la place, sont conservés sur des étagères
et rangés par tailles. Les spécimens plus minces sont conservés dans des
boîtes d'archivage et classés par fonderie et par date. Bien que tout soit
enregistré sur ordinateur, il m'arrive d'oublier et d'acheter une pièce dont
je possède déjà un exemplaire.
La valeur des spécimens de caractères est largement déterminée par
leur état. Le spécimen d'Enschedé de 1768 vaut sans doute des dizaines de
milliers d'euros; le spécimen du Vatican de 1628 encore plus.
Pour un bon spécimen de plus de 100 ans, il faut compter en centaines
d'euros ; les spécimens minces valent une vingtaine d'euros et un joli spéci¬
men de Rudolf Koch vous coûtera plus de 100 euros. Le prix des pièces rares
ou spéciales - pièces insolites, comme ce spécimen cousu de 80 pages de
1902 par Peter Behrens ou le spécimen de 1928 de Curwen Press - est légère¬
ment plus élevé que la moyenne. Sont également insolites, comparés aux
pièces du même type, les trois rares grands formats de Andreàische, de 1833,
que j'ai achetés un jour chez Jammes, et la double feuille d'Ahendene Press,
de 1926, que j'ai mentionnée plus haut.
Y a-t-il autre chose dont j'aurais envie? La liste est ma foi assez longue, et
j'avais placé en tête les trois spécimens de Bodoni, Fregi e majuscule (1771),
Serie di majuscole (1788) et Manuale tipografico (1818). Je possède à présent ce
dernier et c'est le joyau de ma collection.
On a beaucoup écrit sur les spécimens et les fonderies. Les ouvrages de
base incluent Chronik der Schriftgießereien de Friedrich Bauer (1928, première
édition en 1914),!« livrets typographiques des fonderies françaises créées avant
1800 de Marius Audin (1964, première édition en 1933), British Type Specimens
Before 1831 de James Mosley (1984), Schweizer Stempelschneider und Schrift¬
gießer d'Albert Bruckner (1943), Type Foundries of America and Their Catalogs
de Maurice Annenberg (1994, première édition en 1975), enfin et non des
moindres, Type Foundries in the Netherlands de Charles Enschedé, traduit et
adapté en anglais par Harry Carter (1978, première édition en 1908).
Si vous pensez que la gravure et la fonte de caractères au plomb ne se
pratiquent plus de nos jours, vous vous trompez. Il n'y a pas si longtemps,
le poète américain Dan Carr éprouva le besoin de créer son propre carac¬
tère pour ses poèmes et grava lui-même les poinçons. Ce caractère, nommé
Regulus, que l'annuaire Matrix, mentionné plus haut, publia dans un
appendice, s'avère être un très joli caractère. J'ai immédiatement écrit à
Golgonooza Letter Foundry & Press, la fonderie de Carr, pour commander
l'édition à tirage limité de sa première application, en demandant un vrai
spécimen de caractères.
Autrefois, l'installation d'un atelier de composition manuelle bien four¬
ni demandait un investissement considérable. De nos jours, pour préparer
sur ordinateur un document à imprimer, on peut choisir sur Internet une
infinité de polices de caractères pour quelques euros chacune. Et si vous en
prenez 10, on vous offre en prime un vélo tout terrain.
On a employé la même méthode d'impression pendant 500 ans - et
soudain, grâce à M. Senefelder, tout a changé. Les fonderies de caractères
qui ne faisaient que du plomb ont disparu. Quelques-unes se sont adaptées
et ont fabriqué du matériel de photocomposition - parfois avec succès,
comme Berthold (qui gravait les matrices du système Linotype allemand
depuis 1900) et parfois avec moins de succès, comme Deberny & Peignot,
qui fit faillite avec son système Lumitype. D'autres avaient déjà une activité
secondaire; Enschedé, par exemple, avait une imprimerie et Lettergieterij
Amsterdam vendait des machines d'imprimerie. Les fonderies commer¬
ciales ont disparu, mais il existe heureusement aux Pays-Bas la fondation
Stichting Lettergieten qui perpétue l'art typographique du passé. Tous ceux
qui aiment l'ancien métier devraient la soutenir!
Un jour, alors que je visitais la bibliothèque de l'Université d'Amster¬
dam, un bibliothécaire fit incidemment cette remarque: «Ici, nous avons
70 mètres de spécimens de caractères. » Je crois que j'ai rougi. Arrivé chez
moi, j'ai sorti un mètre ruban et constaté que je parvenais à peine à la
moitié de cette longueur. Une leçon d'humilité.
Collectionner les spécimens de caractères
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