LA COLLECTION
Collectionner les
spécimens de caractères
par Jan Tholenaar
Avec une introduction de Casper Gijzen
Les spécimens de caractères de la fin
du XIXe siècle sont vraiment séduisants;
leur infinie variété est merveilleuse.
Le collectionneur Jan Tholenaar a rassemblé Tune des plus grandes collections
privées de spécimens de caractères. Ses préférences individuelles donnant le ton, la
collection se concentre sur des pièces réalisées entre 1830 et 1930. Ces 100 années
ont vu se créer une variété considérable de caractères fantaisie et d'ornements,
ainsi que des exemples d'impression d'art. Plein d'enthousiasme, Tholenaar
présente quelques-unes de ces pièces magnifiques et s'exalte: « Toute cette richesse,
toutes ces associations de couleurs éclatantes. Ces constructions tellement com¬
plexes; regardez ça, il a fallu des semaines de travail. Et toutes ces lettres et orne¬
ments dans des coloris aussi variés. Ce vert et ce brun pâles à côté de ce gris léger,
ça ne jure pas du tout. Et regardez la façon dont ça s'accorde, incroyable ! Et tout
est de la typographie, pas de lithographie. On trouve parfois des objets singuliers;
regardez donc cette pièce, composée entièrement en lignes de cuivre ! Elles étaient
fixées avec du plâtre ; personne ne sait plus faire ça. Il arrive qu 'on trouve une
très belle signature, faite avec le même procédé. » Et Tholenaar montre, effective¬
ment, de magnifiques exemples de composition, tous faits de lettres, de lignes ou
d'ornements complexes. Pour tout ce matériel proposé à la vente, on concevait des
démonstrations appliquées, qui étaient composées et imprimées à la mam. Thole¬
naar feuillette l'ouvrage plus avant: «Les spécimens de caractères de la fin du
XIXe siècle sont vraiment séduisants ; leur infinie variété est merveilleuse. »
Tholenaar exprime son admiration sans réserve pour l'amour avec lequel les spé¬
cimens étaient composés à cette époque. Il montre un spécimen dans lequel un seul
caractère est présenté comme exemple ingénieux de la typographie du graphiste, et
un autre qui propose différents procédés d'impression : typographie, gravure et offset.
Seule restriction que Tholenaar s'impose pour sa collection, tous les spécimens
doivent être composés au plomb. Il possède des échantillons de fonderies ou d'impri¬
meurs, mais un spécimen peut également exister sous forme de publicité dans un
magazine, par exemple. Il les achète à des marchands de livres anciens dans le
monde entier. Il a naturellement l'occasion de voir de nombreux catalogues. Il cite
en exemple le fameux catalogue de caractères dejammes : « Ce n 'est même pas la
peine d'y songer... Regardez les prix. Et ils sont tous comme ça. С 'était terrible, une
vraie torture, rien que des spécimens de caractères. »
Il trouve certains spécimens «amusants», d'autres simplement «jolis». Il ne
montre pas beaucoup d'enthousiasme pour les caractères sans empattements dessi¬
nés au siècle dernier, exception faite du Futura de Paul Renner. «Mais si on com¬
pare les lettres fantaisie de l'époque victorienne avec la typographie suisse de
l'après-guerre, parfaite mais austère, les premières ont beaucoup plus de charme. »
Casper Gijzen
Il n'est pas si facile de collectionner des spécimens de caractères aujour¬
d'hui ; ils sont devenus rares et coûteux. Tout ou presque doit être acheté
chez des marchands de livres anciens ou dans des ventes aux enchères. Un
sacré trou dans le porte-monnaie. Il me serait impossible de recommencer
à zéro ma collection de plusieurs milliers de pièces. Quand j'entre dans
une librairie ancienne (chose à laquelle il m'est difficile de résister où
que je sois dans le monde) et que je demande s'ils ont des spécimens de
caractères, on me répond souvent : « Non, et quand il m'arrive d'en avoir,
ils partent vite; ce sont de vraies pièces de collection maintenant.»
Je me souviens d'un de mes premiers achats, un Muster-Sammlung de
Schelter & Giesecke de 1886. Je l'ai trouvé chez Kok sur Oude Hoogstraat,
à Amsterdam.
C'est en prenant des cours à l'École de graphisme d'Amsterdam sur
Dintelstraat, entre 1945 et 1947, qu'est né mon amour des caractères. Je
suivais les classes de composition de J. Aarden, connu pour ses cours de
linotypie, ou «nouvelle vague» (1920-1928),« de «typographie illustrative»
(1928-1934). Dans la classe de dessin de Möllenkamp, nous restions des
heures à traficoter avec le Hollandsche Medieval ; je n'oublierai jamais,
aussi longtemps que je vivrai, que le Л a un petit drapeau. Nous avions des
lettres comme Nobel, Romulus, Bodoni, Studio, Libra ou Iris. Mes préfé¬
rées étaient Trajanus et Gravure, avec ses longues hampes ascendantes et
descendantes.
J'ai vraiment adoré visiter la bibliothèque de la fonderie de caractères
Amsterdam (anciennement fonderie Nicholas Tetterode, à Rotterdam, située
ensuite sur Bilderdijkstraat, à Amsterdam). C'est là que j'ai vu pour la pre¬
mière fois un spécimen de Derriey de 1862, probablement le plus beau
jamais produit. Il a fallu des années avant que je réussisse à m'en procurer un.
À l'occasion d'une visite à St. Bride Printing Library à Londres, j'ai
appris l'existence des publications de Printers' International Specimen
Exchange. Seize annuaires ont été publiés depuis 1880, en éditions de 200
à 450 exemplaires. Les imprimeurs anglais, en particulier, soumettaient leur
plus belle œuvre pour qu'elle apparaisse dans ces annuaires, la préservant
ainsi pour la postérité. Les annuaires présentaient des travaux de composi¬
tions complexes (impression d'art), avec des couleurs en grand nombre et
toute une panoplie de lettres, belles ou laides. Je suis particulièrement
friand de l'impression de l'époque victorienne; c'est parfois vraiment char¬
mant, et parfois joliment laid. Les Allemands ont repris l'idée de ces
annuaires, et j'ai la chance de posséder un certain nombre de ces ouvrages
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